LPDA25 - Marcher pour mieux voir (c) Luella Tyler

Je marche pour mieux voir

Depuis que j’ai quitté les scouts, j’ai la bougeotte. En chemin, des mots me viennent en tête sur le sens desquels je gamberge parfois durant des heures. Je marche pour mieux voir.

En un coup d’œil

Mon moyen de transport à moi, c’est la marche. Je sais, c’est plutôt lent comme moyen de transport… et alors ? J’ai quitté les scouts alors que je devais avoir 16 ou 17 ans. Finis les après-midi aventureux à jouer à l’aventurier dans la nature. Finies les rencontres avec les copains de l’époque. Alors, pour voyager, j’ai dû trouver des solutions. La première a été de ne rien dépenser pour les déplacements. J’ai fait beaucoup d’auto-stop et j’ai aussi beaucoup marché. Et cette expérience m’a plu à un point que je ne saurais décrire.

Le chemin de Saint-Jacques, un mois de marche

En avril 2018, j’ai pris la route pour relier Lourdes à Saint-Jacques de Compostelle. Ce n’était pas la première fois que je voyageais à pied, mais parcourir une si longue distance pendant une aussi longue période de marche était un véritable baptême. J’ai mis 31 jours pour relier Lourdes à Saint-Jacques, puis Fistera. J’en ai retiré un enseignement important : la vitesse de l’homme est définitivement plus proche des 5 km/h que des 120. Honnêtement, je croyais que le passage du stress de la vie trépidante que nous vivons au quotidien au rythme séculier de nos ancêtres « chasseurs-cueilleurs » serait difficile… Eh bien pas du tout ! Trois jours ont suffi pour que je m’adapte au tempo de la marche.

LPDA24 - Se faire accompagnerSous la grisaille ou sous un soleil de plomb, sous la pluie ou par grand vent, quel plaisir d’apercevoir tous ces détails qui bordent les routes, puis les chemins et enfin les sentiers d’alpage. Petit à petit, l’œil s’habitue à revoir ces choses banales, ces raffinements de la vie simple que l’on avait oubliés. On marche pour mieux voir et plus aussi.

Marcher pour en voir plus

Cela commence par une foule de marques de couleurs un peu floues qui se détachent du sol, ce sont autant de variétés de fleurs. Puis il y a les empreintes reconnaissables de quelques moutons. Elles ont été laissées dans la boue par une dizaine de bêtes que je devais croiser plus tard dans une prairie. Entendre et surtout voir les oiseaux qui s’effraient lorsque, pour franchir le pont qui enjambe un cours d’eau, je m’approche de la rivière au bord de laquelle ils nichent…

Rapidement, les sens s’aiguisent, ils se conjuguent, ils s’apaisent. Mon pas se fait plus léger. Une loutre passe devant moi, indifférente à ma présence. Je suis lent et j’arrive à me fondre dans le paysage. Je n’ai plus le sentiment d’être un étranger dans ce paysage.

Quand revient l’instinct

Et puis on s’habitue. Le regard qui au début n’accrochait que de petits riens s’affûte au fil des jours. Aux côtés des flèches jaunes qui balisent la route, d’autres repères se suivent en une succession d’images qui sont loin d’être anodines. La recherche permanente des signes qui nous guident vers Compostelle devient naturelle.

LPDA24 - Faire attention aux détailsUne certaine langueur conduit le pas du marcheur qui avance en écoutant battre son cœur à l’allure de soixante pas à la minute. Et puis on arrive enfin à destination. Sous la pluie. Et on s’en fout ! Là où tout s’arrête et tout s’emballe. Il reste trois jours pour rejoindre Fistera, là où la terre s’arrête (finis terra). On ne va pas se priver de 72 heures de lenteur supplémentaire.

Retour difficile

Quel choc au moment de reprendre la route, ou plutôt l’autoroute, pour rentrer à la maison ! J’avais réservé une place sur un bus de ligne de la compagnie Flixbus. Le car est parti de Saint-Jacques-de-Compostelle un peu avant midi. À travers la fenêtre sale, j’ai juste eu le temps d’un dernier geste à Luella l’Australienne. Elle a été, à la fois, ma camarade de route, mon guide (elle a déjà parcouru plusieurs fois les chemins qui mènent à Compostelle) et ma prof d’anglais.

LPDA24 - Retour en bus trop rapideOn roule depuis quelques minutes dans les rues de Santiago avant de rejoindre l’autoroute. Le temps s’emballe à nouveau. Si mes souvenirs sont exacts, on s’est arrêtés deux fois, pour un arrêt « toilettes » et pour le repas du soir. Puis j’ai dû m’assoupir une petite heure. Vers 20 h 45, alors que j’observais le paysage, j’ai pu lire, sur un panneau de signalisation, que nous approchions déjà de la ville d’Irún.

Irún, la ville où j’avais entamé mon parcours en Espagne après six jours passés dans les Pyrénées françaises. À bord de ce bus, on venait de parcourir 850 km en un peu moins de neuf heures. La distance que je venais d’effacer en 21 jours de marche. Quel choc !

La vie reprend son cours, trépidante

Je le confesse, le retour à la vie trépidante a été très difficile. Et je crois, pour avoir entendu de nombreux témoignages de pèlerins, que c’est le cas pour la plupart des Jacquets (les personnes qui sont arrivées au moins une fois à Saint-Jacques-de-Compostelle). Passer de la vitesse à la lenteur est bien plus facile que de faire l’exercice inverse.

Des souvenirs s’éveillent en moi lorsque, parfois, je me balade dans la campagne ou que je vais faire des courses en ville à pied et que je croise quelques coquelicots, des brins d’herbe isolés ou un pigeon qui mange des miettes de pain en m’ignorant cordialement.

LPDA25 - Marcher au soleil (c) Alain DemaretDepuis, je suis reparti. En mars 2019, j’ai passé trois jours sur les sentiers forestiers de l’Eifel allemand, entre vie trépidente et lenteur. Puis, pendant dix jours, j’ai arpenté la Rota Vicentina dans le sud du Portugal. Je suis allé à Maastricht et à Aachen à pied… J’ai de nouveau ressenti cet énorme fossé entre la quiétude de la marche et la vitesse effrénée de nos déplacements toujours plus rapides. Et je commence à ne plus l’aimer, ce rythme-là.

Et vous, avez-vous déjà voyagé à pied ? Partagez votre expérience en commentaire.

Alain
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One Reply to “Je marche pour mieux voir”

  1. J’aime voyager à pied, Je vais me faire Liège Maastricht dans les prochains jours. Juste pour voir où j’en suis.

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