Ma bougeotte a dû naître dans les récits montagnards de Frison-Roche. Peut-être aussi dans le défi autour du monde que s’était lancé Alain de Prelle au début des années 1950. De toute façon, depuis que j’ai 15 ans, je bouge sans cesse.
En un coup d’œil |
À l’origine de ma bougeotte, il y a une lecture imposée. Un de mes profs de français, Théo Botty, m’a initié à la littérature de voyage. Il nous avait donné « Premier de Cordée » de Frison-Roche à lire. J’ai dévoré tous les récits de montagne de l’auteur. Puis j’ai découvert son amour du désert et je me suis pris de passion pour ses aventures désertiques.
Tom Sawyer en une nuit
Il m’en fallait plus. J’ai terminé en une nuit « Tom Sawyer » à la lueur d’une lampe de poche. Car je devais aller au lit à 8:30. Mark Twain, un auteur que j’ai relu à d’innombrables reprises.
Jules Verne, le conteur
J’ai évidemment collectionné les Jules Verne. Je me suis réveillé en Phileas Fogg (Le Tour du monde en quatre-vingt jours), en Robur (Robur le conquérant) ou en Godfrey Morgan (L’École des Robinsons). En hiver, je m’habillais chaudement et j’allais lire mes héros de papiers à l’extérieur, assis sur une buche de bois, les pieds dans la neige ou sur une botte de paille, dans une grange près de la maison de mes parents. C’était ça mon aventure de l’époque. J’avais 12 ou 13 ans.
Alain de Prelle, le modèle à suivre
Plus prosaïquement, je me suis aussi intéressé aux périples d’Alain de Prelle, un journaliste et aventurier belge que l’on a oublié aujourd’hui. De Prelle avait fait le pari avec l’éditeur Dupuis de réaliser un tour du monde avec seulement mille francs en poche. Pour me procurer ses livres, épuisés et rares, je m’étais rendu aux Éditions Dupuis à Marcinelle. Je voulais en apprendre davantage sur mon héros et sur la façon dont il s’y était pris pour relever son défi.
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Les auteurs, mais aussi les scientifiques
Ma jeunesse a également été nourrie des récits des grands explorateurs comme Stanley, Charcot, Alexandra David-Néel ou encore Alain Bombard. Rêvant de rencontrer le Commandant Cousteau, Haroun Tazief ou Paul-Émile Victor. Tous me faisaient rêver de voyages aussi incroyables qu’impossibles.
Première aventure : la Finlande
Mais, alors que je venais d’avoir 15 ou 16 ans, je suis tombé sur « Le manuel du Routard » à la bibliothèque. Une sorte de préambule aux guides de voyages édités par Hachette. Au début de l’ouvrage qui allait devenir ma bible pendant de longues années, il est écrit que tout routard qui se respecte doit « avoir fait Paris-Istanbul en stop au moins une fois dans sa vie« . Mais avant de faire le Grand Voyage en stop, je me suis testé sur un périple un peu plus facile, en train. J’ai choisi d’aller rendre une petite visite au père Noël à Rovaniemi. 2 500 km, seul avec mon sac à dos, un sac de couchage et 10.000 francs de l’époque (250 euros). Rien que ça !
Je n’avais pas beaucoup d’argent, alors j’ai investi dans la confection d’autocollants. Des cercles de plastique jaune où j’avais repris l’idée du dessin du routard des guides du même nom. En guise de sac à dos, je lui avais mis la silhouette des frontières de la Finlande. Prix de vente : 25 francs de l’époque, un peu plus d’un demi euro. Et je me suis mis à vendre mes autocollants. J’ai aussi un peu travaillé et je me suis fais sponsoriser par Europ Assistance. Avec l’argent récolté, j’ai pris une carte de l’Europe du Nord, je me suis acheté un sac à dos, un sac de couchage, un réchaud et un billet de train. Ainsi équipé, je suis parti de chez moi pour voir le monde de mes propres yeux.
Plein les yeux
En train, me voilà sur les rails pour la Finlande. Premier véritable arrêt, Copenhague, la ville de la Petite Sirène. Les autorités danoises venaient lui rendre sa tête, dérobée quelques mois plus tôt par une espèce de décérébré.
Puis ce furent Stockholm, les îles Åland et enfin Turku. Là-bas, j’étais attendu par Païvi, une amie rencontrée dans un train et à qui j’avais fait visiter Bruxelles l’année précédente. Elle m’a hébergé plusieurs jours, le temps de découvrir la ville, l’université et les lihapiirakka. De là, j’ai fait du Stop jusqu’à Oulu, autre ville universitaire où j’ai pu visiter un musée en plein air qui regroupe tous les styles d’habitats traditionnels que la Finlande ait connus. Puis ce fut le Napapiiri, le Cercle Polaire, avant de rejoindre le village du père Noël, près de Rovaniemi. Là-bas, il y a un petit bureau de poste, pour les touristes, d’où j’ai envoyé des cartes postales à tous mes proches. Sur le chemin du retour, je rencontre Kirsi et Katriina, deux étudiantes qui rentrent dans leur famille. Je suis invité et je passe une semaine en immersion totale à Vääksy, un petit village au milieu des bois. Avec le père Jorma, bâtisseur de maisons en bois et la maman, Maria. Il y avait aussi le petit frère, Hermäni, qui criait en permanence et à qui on criait : « Hermäni, lopetta (Hermani, tais-toi) ». Un mois entier en Finlande, tout un programme !
Gagner des sous pour repartir
Après ce premier voyage, la bougeotte ne m’a plus jamais quittée. J’ai trouvé un job d’étudiant à la ferme voisine pour mettre un peu d’argent de côté. Au fur et à mesure que l’argent rentrait, j’en consacrais une partie à l’achat du matériel nécessaire. L’autre allait à l’élaboration d’un petit bas de laine pour « vivre en route ». J’ai aussi beaucoup lu. Le pari d’Alain de Prelle de « faire le tour du monde avec mille francs en poche » m’a fait rêver des semaines durant. Je n’y tenais plus. À 19 ans, j’ai mis tout ce que j’avais sur mon dos et je suis parti pour la capitale française. Le lieu de départ de mon fameux Paris-Istanbul !
Mon Paris Istanbul
J’ai entamé l’auto-stop à la station essence qui se trouve sur l’autoroute, pas loin de chez mes parents. J’ai rejoint les Halles de Rungis, à Paris, mon vrai départ pour agir exactement dans les conditions prescrites par le manuel.
Un premier routier, Max, des transports Ryan, m’a « descendu » à l’entrée des Alpes, il retournait à Cavaillons à vide après avoir emmené des melons dans la capitale. Puis j’ai traversé la frontière italienne avec un chauffeur autrichien qui écoutait de la musique bavaroise. Il m’avait laissé à Courmayeur où il y avait une station de quarantaine sanitaire pour le bétail. De là, j’ai trouvé un « lift » à bord d’un Scania immatriculé en France. J’ai vu Venise, de très loin, puis on est entré en Yougoslavie (elle s’appelait encore comme ça) où des conflits recommençaient à gronder. On nous a même tiré dessus, chose que je n’ai jamais avouée à mon père. Près de Zagreb, j’ai aidé un camionneur turc à charger des champignons secs à destination de la Grèce. Je me souviens d’un ravitaillement en mazout assez sympa à Thessalonique. Pendant que le mécanicien faisait le plein, on avait droit à de gros morceaux de pastèque bien juteuse.
Passage de frontière difficile
Puis ça a été la traversée à pied de la frontière turque. Impossible de trouver un chauffeur qui ait voulu prendre le risque de m’avoir comme passager. Le douanier estime que je suis trop jeune pour voyager seul. Heureusement, je retrouve un des routiers avec qui j’avais mangé dans un restoroute près de Belgrade. Les formalités expédiées, c’est lui qui m’emmène jusqu’à Istanbul. J’ai traversé le fameux pont de l’Europe en bus jusqu’à Izmit. Là, j’ai fait la connaissance d’un vendeur de Street Food dans le port, au milieu des grumes de bois venus d’Afrique. On reste en contact par la poste. Des années plus tard, j’apprendrai qu’il fait partie des victimes du tremblement de terre qui a ravagé la région en 1999. Je le vois encore, avec son super sourire, à côté d’un vieux « taksi », une magnifique Dodge rouge des années 50. Plus tard, toujours pendant ce voyage « initiatique« , un autre chauffeur m’a emmené en Irak. J’ai fait le voyage de retour à Istanbul avec lui, il avait peur de s’endormir au volant.

Une expérience, pas très bien préparée, au cours de laquelle j’ai dû m’adapter aux circonstances et où le hasard a m’a souvent sauvé les miches. Mais, sans doute celui qui est le plus rempli de souvenirs.
À ma façon
Au terme de ces premiers voyages, j’avais parcouru des milliers de kilomètres à pied, en stop, en bus, en train, en avion… et même en voilier. J’avais démontré que je savais me débrouiller seul, au milieu de nulle part.
Aujourd’hui, l’édition du « Manuel du Routard » a beaucoup vieilli. Désormais, je me fonde sur mon expérience personnelle pour élaborer mes plongeons urbains, mes errances solitaires ou mes bains de nature. Je dois à la vérité d’avouer que je me suis amusé (toujours). Je me suis trompé, perdu (maintes fois) et énervé (rarement). Des regrets ? Ne pas avoir eu la chance de tracer ma route plus souvent.
S’amuser, partager, avancer…
Je me suis toujours amusé, car j’aime rencontrer les gens. J’aime partager le quotidien de ceux qui empruntent un mode de vie différent du mien. Ils accomplissent des gestes plus économes ou ils possèdent un bon sens plus affûté. Leurs moyens restent, en général, bien plus rudimentaires que ceux dont nous disposons. D’autres manières d’agir qui conduisent à des résultats équivalents. On confronte nos points de vue, et au final, c’est moi qui vois les choses autrement.
Et demain…?
En 2016, j’ai changé d’emploi. J’ai remisé mon attirail de journaliste avec la ferme intention de continuer à écrire, mais sous une autre forme. Au cours de l’apprentissage de mon nouveau job, j’ai perdu l’habitude de passer du temps devant mon clavier pour rédiger.
Cela commence furieusement à me manquer. Il y a comme une sorte de manque. Je voulais voir le monde de mes propres yeux et je le souhaite encore. Voilà pourquoi j’ai décidé de ressusciter ma plume pour partager ce qui, selon moi, reste le meilleur et le plus beau de mes voyages.
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Top Alain comme histoire…je me souviens quand tu me racontais qu’il fallait aller planter de pommes de terre en Pologne…et bien d’autres histoires raconté le soir dans une chambrette au VL …Biz 😉